Premier épisode:
Polyphonia Castileti a été créé par hasard. Plusieurs d’entre nous faisaient et font encore partie de la Chorale Royale Les XVI de Charleroi. En 2008, la Ville nous demande de chanter des oeuvres de compositeurs régionaux. L’adjoint de l’échevin, M. Vael, de Châtelet, nous glisse dans l’oreille: Jean Guyot de Châtelet, Renaissance (voir sa biographie dans la rubrique « Documentation »). Nous voilà partis dans les recherches, d’abord sur internet où on trouve quelques renseignements. Puis je vais visiter les bibliothèques de Bruxelles et, à la Royale, je trouve un motet de Jean Guyot et une messe d’un de ses disciples, Jean de Fosse. Qui les connaissait? Quelques spécialistes avaient connaissance de Jean Guyot, dit Castileti mais l’autre??? De plus, à Châtelet, il y a une place Jean Guyot non loin de l’académie, mais personne ne savait qui était ce personnage.
Châtelet au XVIe siècle. Peinture de Castello. Coll. M. Nihoul.
Suite à un coup de téléphone à un ami de Châtelet, nous sommes envoyés chez un historien local, M. Marcel Nihoul, un très vieux monsieur. C’est là que survient l’extraordinaire: il avait hébergé dans les années 70 une étudiante en musicologie qui préparait son mémoire sur ledit Jean Guyot, il l’avait guidée dans les archives de la ville et elle lui avait offert un exemplaire de son mémoire: 3 tomes, dont 2 comportant 450 pages de partitions de Jean Guyot transcrites en notations modernes. Nous décidons, Daniel et moi, de ne pas remettre ce trésor dans un tiroir et nous emportons les partitions pour les photocopier, avec l’accord de M. Nihoul, bien sûr, mais avec aussi celui de l’auteur du mémoire, Mme Benédicte Even, que Daniel avait réussi à retrouver grâce au bottin, et qui était trop heureuse que quelqu’un veuille utiliser son travail. En plus, elle nous invite à assister à une conférence qu’elle donne pour la publication de son livre sur les « Musiciens liégeois au service des Habsbourg ».
Mais pour passer aux actes, c’est autre chose: Patricia Hecq, qui dirigeait la Chorale « Les XVI », trouve que Guyot est trop difficile pour la chorale, on utilisera la messe de Jean de Fosse, d’une composition plus claire.
Que faire alors de ces 450 pages? Daniel est partant, on recrute quelques volontaires dans la chorale « Les XVI », je contacte des profs de chant (Ariane Dupas sera intéressée, son élève Pierre restera chez nous), je téléphone à Marie-Anne qui dit « Oui, tout de suite » – chaque semaine elle vient de Kraainem- on m’autorise à placer une annonce sur le site et dans le journal d’A Coeur Joie, et voilà Jean-Paul qui se joint à nous, puis des ami(e)s se succéderont, comme Françoise, qui est une habituée de la polyphonie; c’est un peu long à raconter. Patricia accepte de prendre la direction.
Après mille difficultés et obstacles, nous réussissons à mettre sur pied notre premier concert, avec 2 groupes d’instruments. Je ne raconte pas les mésaventures…
Après: on continue? Tour le monde est d’accord. On fait un 2e concert. Daniel s’est mis aux transpositions de partitions.
2e épisode, nouvelle coïncidence
Après le concert de 2011, Patricia a envie de chanter de la musique du Moyen Âge. Or, j’avais dans ma bibliothèque depuis des lustres, un livre de partitions intitulé « Motets Wallons » : visiblement des pièces des XIIe ou XIIIe siècle: conduits, motets, à 3 voix avec des textes différents à chaque voix, dont certains en ancien français. Ma soeur avait acheté cela dans une brocante 15 ans auparavant et me l’avait offert, sachant que je chantais. Je l’avais proposé à des profs de musique de chambre vocale mais ce n’était pas leur tasse de thé.
Je fais un bond et je je dis à Patricia: J’ai quelque chose pour toi! Après 15 ans dans ma bibliothèque ces partitions trouvées dans une brocante par ma soeur vont être utilisées! Patricia en choisit une et on commence à l’étudier
Mais ces partitions ne comportaient aucune explication. Il s’agissait du tome 2 d’un travail en 2 volumes d’Antoine Auda, années 50. En cherchant sur internet, je finis par trouver l’ensemble sur un site de livres rares et nous voilà avec les théories de l’auteur, les théories musicales du Moyen Âge et les théories sur les théories et autres débats des musicologues. Mais avec un peu de courage, on y apprend beaucoup. Il y a aussi les photocopies des originaux.
A la Médiathèque, on trouvera bien une quelconque interprétation. Je ne trouve pas sur internet mais je trouve un vinyl de « Musique liégeoise de la Renaissance », que je commande, faute de mieux. Encore un hasard.
3e épisode, le plus étonnant
Je vais chercher ma musique liégeoise et en même temps on m’en trouve un des motets wallons. Daniel en fait 2 cd, qu’on distribue à tout le monde.
Alors, Patricia dit qu’elle aime bien le premier morceau des musiciens liégeois: un chant grégorien intitulé « Magna Vox », d’Etienne de Liège.
OK pour faire du grégorien, et c’est très beau.
Mais qui est cet Etienne de Liège? Les sites ne manquent pas sur internet. J’en retiens l’essentiel: évêque de Liège et abbé de Lobbes de 900 à 920. Pratiquement, le premier compositeur de Belgique.
Sur ces entrfaites:
- je trouve sur Qobuz un cd d’ oeuvres d’Etienne de Liège, par 3 chanteurs (dont l’un est Connor Gibbs, qui a chanté avec la Chorale « Les XVI »)
- le cercle d’Histoire dont je fais partie organise une exposition à la collégiale de Lobbes (la plus ancienne église de Belgique, elle est carolingienne), à l’occasion de la sortie d’un livre sur les abbayes. Cela se fait le dimanche des Eglises ouvertes en 2012. Je propose que nous allions y chanter à cette occasion. Je contacte la présidente de la fabrique d’église, elle-même choriste à Lobbes. Elle est d’accord.
Et c’est ainsi que, suite à une série de hasards, nous avons chanté Magna Vox d’Etienne de Liège dans l’église dont il était abbé un peu plus de 1000 ans auparavant. J’espère qu’il était présent et qu’il a apprécié.
Ce n’est pas magique, ça???
Depuis, j’ai encore trouvé un livre sur sa vie, par Antoine Auda, avec des partitions.
En 2013, à l’occasion de Bienvenue en Wallonie (je crois), nous suivons, Daniel et moi, une visite guidée de la fantastique collégiale de Soignies. C’est là que nous apprenons qu’un enfant de Soignies, Nicolas Payen, a fait une brillante carrière de musicien, qu’il est passé au service de Charles-Quint et qu’il est devenu maître de chapelle vers la fin de son règne. Il a notamment composé un motet pour consoler le souverain de la mort (en 1539) de sa femme, Isabelle de Portugal, dont il était très amoureux. J’ai trouvé sur internet une édition américaine des oeuvres de ce compositeur, assortie d’une biographie et de commentaires musicologiques. Cette découverte complétait une série de chants créés par des musiciens au service des Habsbourg, sans compter ceux qui avaient composé pour leurs ancêtres bourguignons.